Injustement boudé, critiqué violemment, God Hand est un incompris. Comme ces types qui osent émettre un avis allant à l'encontre de l'opinion générale. Voilà. C'est un beat'em all subversif - adjectif osé et très fort. Un peu trop, peut-être. Après tout, comment respecter un jeu nous adressant un bras d'honneur éhonté? C’est un peu ça, le grand problème des testeurs. Apprécier une oeuvre irrespectueuse, mais au fond étonnement sympathique et provocatrice. Jugez, plutôt.

C'est l'histoire d'un mec, nommé Gene, sympa, et pas trop bête. Pas pétochard du tout, en plus. Errant dans les allées de la ville, il croise une fille. La belle est en danger, sous la menace de trois individus, répugnants, ridicules. Il s'empresse de courir à son secours, tout prétentieux et téméraire qu'il est, pour en définitive se rendre compte qu'il n'est pas de taille. Preuve infaillible : plus de bras droit. Consolation : Olivia, la jeune femme. Puisqu'elle lui fournira un nouveau bras très spécial, qui appartient au démon Angra que d’aucuns tentent de ressusciter. Et c'est parti pour une grande aventure. Une aventure où le but sera de fracasser le plus de têtes dans cette ambiance western. Comme le Bon, la Brute et le Truand, excepté que vous êtes seul contre tous. En effet, God Hand privilégie le one-to-one dans les règles de l'art, de la vraie baston, celle des durs à cuir. Coups de pieds, coups de poings, pour finir par un QTE où vous martelez le rond pour écraser l'adversaire à terre sans sommation. Même mieux. Comme vous pouvez customiser les boutons principaux, vous enchaînez les techniques de l'homme saoul pour terminer l'adversaire façon Ken le Survivant avec ses mille punchs dans le ventre. Plaisir garanti. God Hand, en somme, c'est ça. Avec, bien sûr, des graphismes ternes, une modélisation excellente et une ambiance déjantée qui prouve que son statut de Comical Action Game conféré par Capcom n'est pas usurpé.

En fait, la main de dieu ressemble à un élève incapable d'être régulier, qui peut produire le meilleur comme le pire. Pas lisse, il distille à la fois éclats de génie et grande médiocrité. Haut, bas. Haut, bas. Haut, bas. Il fluctue comme les vagues. À la différence du bon élève qui remplit le contrat demandé sans panache, sans se transcender. Celui qui aura le plus souvent l'adoration, le respect du public lambda, là où le premier récoltera l'indifférence générale et l'amour fou de quelques spécialistes. J'oserais même voir dans le titre une référence à Maradona involontaire. Ce grand joueur qui, à la différence de son comparse Pelé, va aussi à contre-courant des règles de consensualisme. C'est ici que se situe le problème de God Hand, tout en le rendant si attrayant. Ce paradoxe. Ces facettes qui transportent et éclaboussent en pleine figure. Des journalistes ne l'ont pas compris. D'ailleurs certains l'ont descendu en flèche sur des points polémiques. Ils se sont attaqués à son essence même. En effet, God Hand ne s'adresse pas à la masse. À quoi bon le préciser dans la conclusion ? Dès les dix premières minutes jusqu'à l'aboutissement de l'aventure, les cibles visées sont claires : les hardcore gamers et les mordus de beat'em all. Ne fallait-il donc pas penser uniquement à ces deux publics en rédigeant ces tests ? S'il s'agissait d'un shoot'em up, des journalistes auraient été largement plus cléments à son propos. Car ce genre concerne une niche de joueurs, très précise. Et aucunement la masse. Alors que les beat'em all, généralement, visent tout le monde sans exception. C'est pourquoi le jeu de Clover a été sanctionné. Alors que même s'il appartient à cette catégorie, il doit être mis à part, loin des autres titres majeurs, et être considéré en tant que tel. C'est-à-dire, en ne se focalisant pas sur la seule volonté de conseiller le joueur lambda. Ceci dit, cela n’exclut pas que même lui, doit y goûter. Le but des journalistes n'est-il pas en quelque sorte d'éduquer leurs lecteurs ? D'éveiller leur soif de curiosité, et de leur apprendre par de vraies explications en quoi ce jeu particulier mérite des heures d'attention ? Je crois que oui. Cela éviterait de commettre des erreurs, comme les notes attribuées par la presse spécialisée à Rez. Il serait trop réducteur de limiter cette réflexion à un simple "chacun ses goûts". C'est une prise en compte de critères sujets à nouveau à caution, comme la durée de vie, les graphismes, qui ont eu raison de l'oeuvre de Mizuguchi et Sega. God Hand n'y a pas échappé non plus.

En effet, critiquer la difficulté du jeu n'a aucun sens en soi compte tenu du public visé, et ce d’autant plus qu’il mise tout dessus. Et c'est son souci. Cette provocation. Ce bras d'honneur. Ces cris moqueurs quand la barre de difficulté baisse de niveau. À la différence de ses compères de Devil May Cry, God of War, ou Ninja Gaiden, Gene, le héros, mène un double combat : contre les ennemis et contre la barre. Élément capital, à ne pas négliger. Détail anodin, à première vue, pourtant elle conditionne tout notre plaisir. Entendre le public invisible hurler lorsque l’on descend d'un échelon parce que nous jouons mal est perçu comme une humiliation. Notre égo ne l'accepte pas, alors on tente de remonter la pente aussitôt. Pêché d'orgueil. Presque personne ne l'a évoqué dans les critiques, à mon grand désarroi. De fait, God Hand perd de sa faveur en mode facile où nous ressentons difficilement le plaisir de vaincre tous les ennemis sur notre chemin et où nous ne nous voyons pas monter en puissance au fur et à mesure. Les cinématiques ne deviennent alors plus ces joyeuses récompenses que nous apprécions pleinement après les rudes batailles victorieuses. Elles restent malgré tout elles-mêmes : des cut-scenes amusantes. Ca reste toujours aussi bon, de toute façon.

Puisque l'oeuvre de Mikami se veut comique. Nous pénétrons dans une ambiance loufoque, où le sérieux se révèle impossible. Je voue une grande estime à ces jeux qui dépassent le cadre du simple amusement procuré par le gameplay. Ceux qui tentent de nous laisser une empreinte quand nous pensons à eux, nostalgiquement. Ils sont peu, chez moi. Quand mon esprit pense Space Channel, pas une once d'images n’apparaît. Seulement cette atmosphère funky / groove, avec le thème principal en fond sonore. De même, pour God Hand. Du design, à l'animation, aux musiques, aux paroles, jusqu'au système de combat, tout est lié. Tout sert une unique cause : l'humour. Certes, le méchant clipping et la pauvreté des graphismes ternissent un peu l'image du jeu. Néanmoins faut-il se focaliser dessus comme certains l'ont fait ? À vrai dire, la question sous-entendue est celle-ci : faut-il punir les lacunes techniques quand un jeu a un tel parti pris, à tel point que le cahier des charges semble inexistant (Suda reflète à la perfection cette problématique) ? Le débat se situe ici. Pourquoi se concentrer à ce point sur les quelques errements de cette oeuvre? Alors même qu'une licence majeure telle GTA ou Zelda pourrait se permettre sans crainte quelques erreurs. Loin de moi l’idée de prêcher la maxime : “c'est le gameplay qui compte”. Cela n'aurait aucun sens. Je l'appréhende avec l'univers du titre comme sa force essentielle. J'irai même jusqu'à dire, sans excuser les clippings et les bugs d'affichage, que le minimalisme est un choix. Un vrai choix décidé par l'équipe de Clover. Dans le sens d'une concession faite, à contrario de celui de Rez. Ainsi, cela permet d'avoir une meilleure visibilité du terrain malgré la caméra imparfaite placée derrière le personnage, un système de combat qui lorgne du côté des jeux de baston (1 contre 1), une très bonne animation et un ressenti plus brutal et proche quand on se bat contre les autochtones.



Mes propos, en fin de compte, se résument à critiquer indirectement les tests, au lieu de défendre en particulier God Hand. Il est là pour illustrer mon argumentation. J'aurais très bien pu choisir une autre série pour exemple. Autant être franc, apprécier ce genre de tests me dépasse complètement. Je ne suis pas totalement contre le principe des tests. J'en lis, de temps en temps. Néanmoins j’émets quelques réserves quand ces derniers s'amusent simplement à décrire des mécaniques de gameplay et à juger des jeux comme de simples produits de consommation aux vertus totalement mesurables. Un jeu vidéo n'est pas un ustensile. Il ne s'agit pas non plus d'exprimer strictement son ressenti, car c'est ainsi que les 10/10 pleuvent comme la moisson en Asie. De mon point de vue, une critique ressemble à une recette de cuisine. Vous mélangez divers ingrédients pour obtenir un plat irrésistible. De fait, vous faites une synthèse des éléments objectifs, de votre ressenti, et essayez de comprendre pourquoi et / ou comment ce jeu provoque ce sentiment en vous, tout en y ajoutant une pointe de style pour les plus doués. Utopie ? Je n'y crois pas. Tristan y arrive bien. Pierre Gaultier aussi. Les articles dans les magazines de cinéma, de musique, d'animation le font. Pourquoi pas nous ? Nous ne sommes pas plus crétins que les autres. Souvent, pour expliquer la misère du journalisme vidéoludique, les internautes fournissent comme argument : "ce sont des passionnés comme nous". Je suis entièrement d'accord. Cela dit, ils exercent cette profession en tant que métier et par conséquent ils devraient encore plus avoir envie de se renseigner, de savoir, de saisir et de réfléchir sur ce qui entoure ce média. En plus d’un fondement incontournable : estimer les jeux vidéo au-delà de l'amusement béat. C'est-à-dire, dans la mesure du possible, le voir comme un média intelligent ... Ce que l'archétype du test ne prend décemment pas en considération. À quand les critiques ?