Elle est là ! Devant vous, retenue prisonnière de ce carton maudit que vous avez furieusement envie d'arracher. Vous ne comprenez pas pourquoi ce jour, où vous obtenez votre Megadrive, est magique. Bambin de votre état, cette question futile ne vous traverse pas l'esprit. « Amusement, Amusement » scande votre subconscient. Alors, le sourire aux lèvres, impatient et joyeux, vous déchirez violemment cette boite pour jouir de votre console adorée. Ca y est ! Elle est branchée. Vous pouvez enfin jouer. Malgré les années qui défilent, le rituel reste immuable. Encore et encore. Debout. Allongé. Assis. Manette à la main, vous allumez la dernière console en date et savourez votre excellent jeu. Sans même vous poser la question, valable au fil des saisons : pour quelles raisons jouez-vous, finalement ?




Le Hardcore Gamer, ou la maladie de l'égo mal placé'



Vous appartenez sûrement à cette catégorie si l'évocation du mot difficulté vous donne des frissons. Pour vous, facilité rime avec ennui et fait perdre un point à un jeu dans votre estime. Et à chaque fois que vous lisez un test qui critique la difficulté, vous ne pouvez vous empêcher d'esclaffer goulûment. Avec le sarcasme caractéristique de l'élite qui va de pair : « Quelle bande de noobs, ces journalistes ! ». Vous avez une nette préférence pour les titres qui récompensent le joueur de son dur labeur. Nouveaux costumes, nouvelles fins, nouvelles musiques, tout vous fait plaisir. En plus de la satisfaction personnelle que vous ressentez lors de la défaite du Boss de fin en very hard. Vous possédez un égo très mal placé au point de mettre la difficulté au plus haut aux premiers contacts avec la bête par pêché d'orgueil. Avantage : c'est celui-ci qui vous permet de ne pas abandonner en pleine partie face à cette I.A. insurmontable et tricheuse. Désavantage : vos chevilles enflent, vous sentez que le jeu vous nargue dès la troisième partie de perdue. Dans un autre cas, bien plus rare, en tant que hardcore gamer, vous vous imposez des handicaps pour vous transcender. Cela va de finir ce shoot'em up en mode deux joueurs avec les pieds, à arriver au niveau final de ce beat'em all, avec deux coups, le plus rapidement possible, etc. Puis, une fois le challenge accompli avec succès, un petit tour sur Youtube ou DailyMotion pour se faire mousser : « T'es trop fort, mec ! Respect. » Spirale infernale. Vous vivez grâce aux autres. En dehors de ça, le jeu vidéo s'apparenterait à un sport. De fait, vous vous entraînez durement, sans oublier votre plaisir, à Virtua Fighter 5 pour participer au Stunfest, un grand tournoi à Rennes, par exemple. Avec l'espoir tacite de remporter la première place. Votre désir de gloire est votre pire ennemi. Préparez-vous à tomber de haut.



L'évasif, ou celui qui rêve d'une meilleure vie



Changer le monde est l'un de vos passe-temps préférés. Vos lettres, faxes et e-mails sont tellement truffés de demandes de sauvetage du monde que vous ne savez plus où donner de la tête, attention à la migraine. Malgré tout, cela vous emplit de bonheur, comme personne ne vous quémande dans votre triste bureau. Alors, il s'agit d'une revanche personnelle où vous pouvez réécrire l'histoire de votre vie, en la rendant épique et dramatique dans des univers apocalyptiques. Ô joie ! Vous cherchez constamment ces chefs-d'œuvre qui vous dépaysent de votre morne quotidien. Vous maudissez les scénarios qui tiennent sur un ticket de métro (hello, Mario ?), et préférez les héros torturés (Riku) aux niaiseux du coin (Vyse). Si la solitude vous effraie, vous avez sûrement dû allumer votre PC pour envahir les terres d'Azeroth en quête de monstres à abattre avec des amis dans World of Warcraft. C'est toujours plus amusant, à moins de détester la vision occidentale du jeu de rôle. Il se peut également que vous tombiez dans un travers qui gangrène les jeux vidéo : les cinématiques. Vous en réclamez et les adorez. Vous vous êtes trompé de média. La salle de cinéma, c'est la pièce d'à côté.



Le blasé, ou celui qui garde son âme d'enfant



Attention, si moins d'une dizaine de titres sur cette génération vous intriguent, vous êtes blasé. La PlayStation 3, la Xbox 360 et la Wii vous laissent actuellement de marbre. Cependant, vous attendez que la sphère vidéoludique vous surprenne car les autres arts, bien qu'excellents, ne réussissent plus à déclencher votre émerveillement de bambin. Vous croyez fermement que des continents demeurent inexplorés par les développeurs à tous les niveaux. À chaque jeu ayant une patte graphique unique, vous applaudissez haut les mains et le rangez dans la liste « à surveiller ». À chaque jeu ayant une ambiance unique, vous êtes en transe et seriez à la limite de l'achat compulsif s'il se trouvait dans les grandes surfaces. Et à chaque jeu unique, vous atteignez l'extase vidéoludique dans toute sa splendeur. Dommage pour vous, cela arrive rarement. Vous voyez l'avenir des jeux vidéo radieux, si, bien sûr, les contraintes d'argent diminuent pour laisser la fibre créatrice des artistes s'exprimer totalement. Pour voir émerger selon vous de plus en plus d'œuvres subversives, réfléchies, poétiques. Rez, Deus Ex, God Hand, Katamary Damacy, Shadow of the Colossus et Zelda Majora's Mask meublent votre ludothèque. Il vous est parfois arrivé, devant la beauté d'un paysage, de poser la manette et d'arrêter le temps sur une image. Marquante. Émouvante. Sublime. Vous touchant de plein fouet. Vous lisez de temps à autre des articles sur le game design, le level design et le gameplay pour parfaire vos connaissances à tel point que vous oubliez le plus important : jouer. Vous n'êtes pas si aigri que cela finalement, vous souhaitez ardemment retrouver cet esprit de découverte, votre âme d'enfant en somme. Grandissez un peu, il y a plein de bons jeux.



Le peureux, ou comment régler ses problèmes de solitude



« Je m'ennuie. Que faire, que faire... Ah oui ! J'appelle Kévin.

Biiip Biiiiip

''- Allo ?

- Kévin, ça va bien ?

- Oui, et toi ?

- Bien, bien. Comme à mon avis tu ne fais rien, viens jouer à la maison, non ?

- Pourquoi pas. J'arrive''. »

Si vous appelez régulièrement vos amis pour brancher votre console, vous abhorrez le plaisir en solitaire. Cela vous révulse. Et votre maxime préférée doit être « plus on est de fous, plus on rit ». De plus vous vous êtes noué d'amitié avec Michel, un sniper dans Team Fortress 2, ce qui prouve que le jeu vidéo permet de socialiser. Alors qu'il est vu comme antisocial. Après cela, l'envie d'organiser des rencontres entre joueurs vous a pris. Pour vous, une partie est l'occasion de partager des moments agréables et sympathiques avec autrui, surtout quand il s'agit de vos amis. Le développement du social gaming a été l'une des plus belles nouvelles de votre vie de gamer. Enfin, vous pouvez profiter de votre loisir bien-aimé avec des casuals et des non-joueurs. Quelques remarques de connaissances pas très fines à votre égard s'estompent, dorénavant ces derniers s'incrustent à la maison. Vive les retournements de veste, heureusement que vous n'êtes pas rancunier. Puis, comme vous les battez à Mario Kart 64, à Guilty Gear XX AC, et à F-Zero GX, voir leur visage déconfit à chaque défaite vous satisfait amplement. Vous êtes un mauvais joueur. Finie aussi la gêne palpable quand une belle brune vous demande : « Que fais-tu la plupart du temps ? ». Maintenant, vous annoncez fièrement, le torse bombé, le regard confiant avec une voix rocailleuse : « Je joue à la console. Une partie de Wii Sports chez moi, ça t'intéresse ? ». La brunette termine la soirée dans votre appartement, où, bienveillant, vous lui montrez comment frapper correctement la balle à Wii Tennis. Le reste de la nuit sera censuré, cependant le lendemain vous prononcez des mots encore impensables il y a quelques années : « J'ai couché avec une bombe sexuelle. Merci à la nouvelle stratégie de Nintendo ! ». Revenez sur terre, vous êtes beau et le jeu vidéo est toujours considéré comme une pratique asociale et débilisante.



Le glandeur et la brute, ou comment attirer l'agacement



Il suffit qu'un joueur décrypte les scènes, les images ou les dialogues de Metal Gear Solid pour que vous ricaniez allègrement. De même pour toutes les analyses de scénario d'un Final Fantasy où vous allez jusqu'à traiter l'auteur d'abruti congénital. En fait, l'intellectualisation vidéoludique vous débecte, « ce n'est qu'un loisir, alors à quoi bon réfléchir ? ». Les prises de tête ne sont pas votre activité favorite, vous voulez simplement jouer. Car vous ne faites pas grand-chose de vos journées, alors vous bouchez les trous tant bien que mal. Au mieux, vous recherchez seulement le plaisir du défouloir. On vous doit bien cela, votre mère vous sérine de chercher activement une copine et d'avoir plus d'ambition dans la vie, votre patron se moque encore de vous, et votre chat est mort écrasé par un fou furieux d'automobiliste. Triste vie. Autant se défouler à exterminer sadiquement des monstres ou des êtres humains (Manhunt) pour votre salut. Là où le rôliste réécrit sa vie en l'enjolivant, vous faites de même, mais sur Bully. De quoi extérioriser toute votre énergie. Puis vous rêvez dans votre lit de sortir avec la jolie et pulpeuse blonde qui plaisait aux garçons de la classe. C'est réglé, maintenant. La vengeance est un plat qui se mange froid, dit-on. Vous êtes aussi un maître de la génération : vite consommé, vite jeté. Ce qui vous permet de ne pas vous sentir souillé quand vous achetez Code de la route ou Entrainement cérébral sur Nintendo DS. D'ailleurs, vous ne comprenez pas l'aversion d'une certaine frange de joueurs envers ces titres vendeurs. « A quoi bon critiquer ? Ce n'est qu'un loisir » répétez-vous de nouveau. Votre insouciance ou votre vacuité intellectuelle exaspère vos congénères à s'en péter les nerfs. Néanmoins au fond de vous, être vu comme un de ces ridicules bobos parisiens qui discutent d'art dans les soirées mondaines vous épouvante. Vous êtes donc un ignorant notoire. Changez de disque et réveillez-vous. On est plus à l'ère de Pong, tout a évolué. De fait, ne mourez pas ignare.